Désir partagé de démocratie

Drôle d’époque, décidément ! Du jamais vu intervient en Algérie, au Royaume-Uni et en France, où des manifestations massives se succèdent sans que gain de cause ne soit obtenu, donnant une raison supplémentaire de continuer. Les Algériens rejettent « le système », les gilets jaunes veulent être entendus, et les Britanniques exigent un nouveau référendum pour exprimer leur vocation européenne majoritaire.

Toutes ces causes ne sont pas aussi disparates qu’il pourrait sembler. Dans les trois cas, une même puissante revendication en est le catalyseur, celle d’un désir de démocratie bafoué par des élites qui n’en font qu’à leurs têtes. Mais la réponse s’éternise, faute de pouvoir affronter les manifestants ou répondre à leur demande.

On voit mal le système algérien organiser sa propre déchéance, les politiciens français rompre avec la rigueur budgétaire et les dogmes libéraux, et les conservateurs et travaillistes britanniques, organisateurs du chaos, accepter un cinglant désaveu. Comme une répression frontale n’est pas concevable, les uns et les autres tentent de biaiser. Mais comment pourraient-ils tromper ceux qui en ont déjà tant vu et n’en veulent plus ?

Quand les familles descendent dans la rue avec leurs enfants dans les poussettes, ce n’est pas bon signe pour les pouvoirs en place. Et quand des manifestants excédés se muent en casseurs face aux exactions des robocops, comme en France, cela ne l’est pas d’avantage. Ni la démagogie coutumière, ni les tentatives de division usant de l’arme de la peur ne peuvent renverser la vapeur. Et quand on en vient à faire appel à l’armée, c’est signe que l’on a perdu son sang-froid.

À Alger, c’est la voix que les édiles ont perdu. Incapables de faire face à une situation qui était hier totalement impensable, face à un peuple faisant preuve d’une grande maturité qui s’approprie la rue dans la joie en revendiquant sa non-violence. Et, petit à petit, les fissures deviennent lézardes dans le système, impliquant qu’il devra être au bout du compte cédé d’avantage aux Algériens. Renouant avec les lendemains de l’indépendance, ils retrouvent la fierté qui les animait alors, avant que le pouvoir ne soit accaparé.

12 réponses sur “Désir partagé de démocratie”

  1. Concernant le feuilleton du Brexit, il me semble que la vraie victime est jusqu’à présent la démocratie parlementaire britannique. Organiser un second referendum donnera peut-être le remain vainqueur, mais à quel prix ? Celui d’une division encore plus exacerbée du pays, et le sentiment pour les brexiters qu’il n’y a effectivement pas de démocratie contre l’Union et ses traités.

    Entre deux maux il faut choisir le moindre, et il me semble que nos amis britanniques ont encore plus à perdre en coulant leur démocratie parlementaire qu’en quittant l’Union.

    1. Certes Roberto, cet argument est sérieux, on ne plaisante pas avec les principes démocratiques, mais là il y a un autre argument à mettre dans la balance : le fait que le référendum a été biaisé via les réseaux sociaux sous l’emprise de Cambridge Analytica, que son lancement répondait à des considérations purement politiciennes, et que troisièmement, le mensonge (Boris Johnson) figurait en bonne place chez les partisans du brexit.
      On s’offusque lorsque dans les républiques bananières, les élections sont biaisées (peu importe les moyens), pourquoi devrions-nous être complaisants lorsqu’il s’agit d’un pays appartenant aux vieilles démocraties ?
      Ceci dit, ce ne sera pas une mince affaire, dans tous les cas de figures. Mais il me semble tout de même que en l’espèce, c’est le pragmatisme qui devrait prévaloir, doit-on accepter comme inéluctable une sorte de la Grande Bretagne de l’Union, n’y-a-t–il pas déjà assez de facteurs de désintégration à l’œuvre dans le monde, pour en ajouter un, au risque, de précipiter l’effondrement général ? Cette thèse n’est pas la mienne, puisqu’elle est de Paul Jorion, mais je la prends très au sérieux.

      1. Pierre-Yves, j’attends avec impatience que l’on me (nous) prouve que des posts envoyés à partir d’informations personnelles dérobées puissent modifier les résultats d’une élection. Il n’y a à ma connaissance strictement aucune étude le prouvant. Tout au plus ces posts ont-ils servi à convaincre les convaincus. Maintenant si tu veux faire interdire le mensonge en politique, ça n’est pas simplement ce triste sire de Boris qui va disparaitre du paysage, mais disons au doigt mouillé, 99,99% des politiciens. Tout simplement parce que le mensonge -sous toutes ses formes- est consubstantiel de la politique.

        Néanmoins je partage volontiers ton indignation sur les républiques bananières où les élections sont biaisées. À l’image par exemple d’un certain pays où un candidat totalement inconnu et sortant de nulle part, a été fabriqué en l’espace de quelques semaines en présidentiable par une presse qui appartient à plus de 90% aux milliardaires…

        Mais serait-ce bien du pragmatisme si au final le RU restait dans l’Union ? Je n’en suis pas certains, tant ce déni de démocratie (le peuple a mal voté, il doit revoter) pourrait bien provoquer une gigantesque vague populiste aux prochaines élections.

        Quant à l’effondrement général, personne ne peut nier qu’il est le fait du néolibéralisme, ce stade génétiquement modifié d’un capitalisme asservissant les états à la volonté des marchés. Hors l’ordolibéralisme de l’Union n’est qu’une variante de ce néolibéralisme. À chacun donc, de se faire une idée et de répondre à cette simple question : l’Union nous protège-t-elle de l’effondrement ou bien nous y précipite-t-elle ?

        1. De même la question de l’immigration qui a beaucoup comptée dans le vote pro-Brexit a été fabriquée par certains médias et politiques britanniques. L’argument doit s’appliquer aussi bien à Macron qu’au brexit.

          1. À la différence que les médias britanniques ne se sont pas rangés d’un seul bloc derrière un camp, contrairement aux médias français qui appelèrent comme un seul homme à voter Macron !
            À noter que cette grossière manipulation de l’opinion publique par la presse de nos amis milliardaires n’a pas contribué pour peu à l’installation de… RT France. Contreproductif n’est-il pas ?

          2. Et de l’autre côté du ring, Une marche pro-Brexit s’élance vers Londres

            https://www.tdg.ch/monde/Une-marche-proBrexit-s-elance-vers-Londres/story/25952648

            Tout le charme des cliquets qui empêchent toute modification ou retour en arrière. Le néolibéralisme comme l’Union ne connaissent qu’un seul mode, celui de la marche en avant.
            Car au-delà des pro et anti-Brexit, c’est bien de l’incapacité du système à se réformer dont il s’agit.

  2. Avec la venue de la société de l’information, les pouvoirs politiques sont dépassés et n’ont plus l’autorité nécessaire pour gouverner car tout se sait très vite, de plus les plaignants ne se sentent plus isolés et peuvent rapidement compter leurs forces.
    En réaction, le pouvoir politique se durcit au point de mettre en doute le bien fondé des pratiques démocratiques. D’où la valorisation de la république des experts et l’organisation de la société à partir de leurs expertises. A cette façon de procéder le pouvoir tient en réserve le bâton, si besoin est.
    C’est ainsi que ça se passe ici en France depuis un certain temps déjà.
    On ne sait trop de quoi demain sera fait pour les britanniques et les algériens mais ce qui se fait en France n’est pas l’exemple à suivre.

  3. L’année 2019 sera-t-elle l’année du renouveau des grandes contestations et luttes planétaires, à l’instar des années 60, la question de la survie qui n’existait qu’à titre lointain, venant cette fois au premier plan. Il ne manque plus que la Chine se joigne au mouvements citoyens.
    Cela paraît impensable dans le contexte chinois actuel, mais une brusque dégradation de l’économie chinoise due a des facteurs internes ou externes, pourrait peut-être remettre en question le statu quo. Un système de surveillance et de crédit social ne peut fonctionner qu’avec un certain consensus social, dès lors qu’il s’effriterait, on peut penser que l’hyper surveillance atteindrait ses limites.

    1. Oui Cloclo, il a raison.
      ‘L’ultra violence’ quotidienne de tout un système ne fait pas la une des journaux, ni le prime time télé. Les chaînes d’info en continu et le gros de la presse, préfèrent s’intéresser à la casse matérielle, les humains, ma foi, sont une simple variable d’ajustement. Mais c’était sans compter sur les gilets jaunes qui reviennent mettre les pendules à l’heure. 😉

    2. Il est certain que 40000 personnes manifestant chaque samedi ne permettront pas de changer cela.
      Où sont les 50/55 % de français qui déclarent dans les sondages soutenir le mouvement ?
      Plus de 4 millions de personnes ont défilé suite à l’attentat à Charlie Hebdo, 1 million sur le parcours d’adieu à Johnny et combien dans les rues actuellement alors que les enjeux sont majeurs ?
      Comme dirait Jupiter, va falloir vous remuer « les enfants ».

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